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Genève – La Ville sommée d’empoigner le problème du bruit à Plainpalais


19 Juin 2021

La Chambre administrative annule l’autorisation d’extension d’une terrasse et demande aux autorités d’enquêter sur les nuisance sonores de ce secteur

Les habitants de la rue de L'Ecole-de-Médecine, qui abrite de nombreux bars, tentent depuis des années d’attirer l’attention des autorités sur le bruit auquel ils sont confrontés régulièrement.

L’étau se resserre autour de certains cafés du secteur de la rue de l’École-de médecine et du boulevard Carl-Vogt. Selon nos renseignements, deux récents arrêts de la Chambre administrative invitent la Ville à enquêter de manière plus approfondie sur les doléances d’habitants souffrant du bruit de plusieurs établissements situés près du fameux carrefour.

Un premier arrêt annule carrément l’autorisation municipale octroyée en 2020 à un bistrot pour étendre ses terrasses. La Ville est sommée de se pencher à nouveau sur le cas et de «faire un examen poussé des intérêts privés et publics en présence». L’autre arrêt la prie d’instruire la plainte de sept habitants, importunés par les nuisances de cet établissement et de trois autres cafés du coin, et de rendre une décision motivée «sujette à recours». Les juges constatent «qu’il ne peut être retenu que la Ville aurait procédé à une instruction de la plainte, comme elle en avait pourtant l’obligation».

Lettres, pétition et plainte

Cela fait des années que les locataires de la rue de l’École-de-Médecine tentent d’alerter les autorités: une pétition en 2015 signée par 377 personnes, des dizaines de courriers et de courriels, puis en juillet 2020 une dénonciation des sept habitants adressée à la conseillère administrative Marie Barbey-Chappuis. Quelques jours plus tard, 14 autres personnes du quartier ont fait de même auprès de l’élue responsable du Département de la sécurité et des sports de la Ville de Genève (DSSP).

Les sept plaignants ont demandé la fermeture de ces terrasses à 23 h tous les jours. Week-end compris. Il faut dire qu’avec le confinement, ils ont pris goût à une certaine tranquillité et une qualité de sommeil qu’ils avaient oubliées. Ils estiment que les habitants vivant au-dessus des bistrots sont atteints dans leur santé et que le double vitrage n’est pas une solution. Pas plus que la présence accrue de la police municipale: «Après leur intervention, le bruit reprend.» Ces résidents ont demandé à la Ville de reconsidérer l’autorisation accordée l’an dernier à un bistrot d’étendre sa surface de terrasse.

Le 3 septembre, Marie Barbey-Chappuis a pris la peine de répondre à chacune de ces lettres en se disant consciente que la situation n’était pas satisfaisante et en proposant une réunion avec les services compétents. Il n’empêche que quelques jours plus tard, le Service des espaces publics (SEP) a donné son feu vert au bistrot en question pour qu’il puisse installer trois terrasses. De quoi faire bondir le groupe d’habitants, qui mandate une expertise privée pour constater les nuisances avant de saisir la justice administrative en novembre.

L’occasion pour ces personnes de rappeler qu’entre 2009 et 2012, la rue de l’École-de-Médecine a fait l’objet de transformations (élargissements des trottoirs, suppressions de places de parc) qui ont stimulé la création de bistrots. Les recourants exigent la fermeture complète des terrasses, deux soirs par semaine et dès 22 h tous les soirs, avec l’interdiction pour les clients de consommer debout.

Dans le recours, la Ville réplique qu’il est difficile d’imputer uniquement aux quatre cafés les nuisances sonores. Pour elle, l’efficacité des mesures demandées est incertaine car la clientèle se déplace. Une fermeture deux soirs par semaine est, selon elle, disproportionnée. Enfin, la Ville fait remarquer qu’elle ne peut stigmatiser quatre établissements sans prendre des mesures similaires pour les autres situés sur le territoire municipal.

«Les nuisances subies par nos clients vont bien au-delà de ce qu’une personne de sensibilité normale est en mesure de supporter» Mes Nuzzo et Djaziri

Les juges balaient cet argument: «Un traitement différencié entre les terrasses est tout à fait possible en fonction de la configuration des lieux, de la proximité et du type de voisinage ainsi que tout autre élément pertinent.» Et d’ajouter que c’est à la Ville de «vérifier que l’activité concernée préserve la tranquillité publique et garantisse la protection du voisinage». Les autorités municipales devront faire une pesée d’intérêts: «L’admissibilité des nuisances qui découleraient de l’exploitation des terrasses» versus «l’intérêt de l’exploitant en cause à pouvoir exploiter lesdites terrasses». L’arrêt préconise aux autorités municipales d’instruire en s’appuyant notamment sur un préavis auprès du SABRA. le service cantonal chargé de la question des nuisances comme le bruit.

Avocats des recourants, Mes Bernard Nuzzo et Samir Djaziri assurent que «les nuisances subies par nos clients vont bien au-delà de ce qu’une personne de sensibilité normale est en mesure de supporter, ce que nous avons pu prouver. C’est un juste équilibre des intérêts en présence qui est demandé par les riverains, rien de plus, tout en rappelant que les recourants vivaient là avant l’installation des établissements concernés. Les deux décisions de la Chambre administrative ont le mérite de rappeler à la Ville que nos clients ont des droits et qu’elle se doit de les respecter. Qu’il ait fallu saisir la justice pour cela est un peu navrant mais nécessaire.»

Touchés par le Covid

Porte-parole du DSSP, Cédric Waelti relève que l’extension des terrasses a été autorisée par la Ville dans le cadre des mesures visant à soutenir les restaurateurs durement touchés par le Covid: «La Ville a toutefois déjà tenu compte de la situation particulière de la Rue de l’École-de-Médecine en interdisant dans la rue - ainsi qu’à la rue Henri-Blanvalet - les écrans TV sur les terrasses dans le cadre de l’Euro de football. D’autres mesures ne sont pas exclues mais celles-ci doivent rester dans les limites légales; il s’agit de trouver un équilibre entre les besoins des riverains et la liberté de commerce des exploitants qui savent, eux aussi, faire valoir leurs droits en justice. Par ailleurs, si l’on ferme trop tôt les terrasses, on risque de voir le public des cafés de cette rue aller finir leur verre quelques mètres plus loin vers la plaine, ce qui ne sera pas forcément une plus-value en termes de tranquillité pour le quartier…» Les autorités disent rester ouvertes à la discussion avec les uns et les autres, «sachant que chacun va devoir faire un pas vers l’autre pour qu’une cohabitation soit possible dans cette rue».

Me Alexandre Ayad, défendant le café qui voit son autorisation de terrasse remise en question, ne souhaite pas faire de commentaire à ce stade. Un patron d’un des bistrots dénoncés par les habitants tombe des nues: «On est surpris d’apprendre l’existence de cet arrêt de justice. En 2018, nous avons repris ce café qui existe depuis une vingtaine d’années. Nous faisons des efforts pour limiter au maximum les nuisances sonores.»

Avocat d’un autre café visé par la plainte, Me Daniel Meyer conclut: « L’Autorité de recours se devait de faire preuve de proportionnalité, surtout en situation de post-crise sanitaire. La sanction se révèle incompréhensible et frappe sévèrement ces établissements publics qui ont été contraints à plusieurs mois d’inactivité avec des conséquences économiques dramatiques. Cette décision est d’autant plus choquante qu’elle ne fait aucune distinction entre un établissement qui propose uniquement un service de restauration, comme ma cliente, et les bars dont les éventuelles nuisances sont incomparables.»

Par Fedele Mendicino

Source : TDG

Crédit photo : LAURENT GUIRAUD